The King and his court : Eddie Feigner, la légende du softball !
Il y a bien peu de noms issus du softball qui transcendent l’histoire de ce sport. Et la plupart sont ceux de compétitrices contemporaines comme Jennie Finch ou Cat Osterman. Pourtant, le softball a pu compter sur une véritable légende du sport américain, un homme qui, sur plusieurs décennies, fut le plus grand et le meilleur ambassadeur de la grosse balle. Il fut le roi du softball et avec sa cour, il écuma le monde pour sa gloire. Il s’appelait Eddie Feigner.
Eddie Feigner, c’est un peu une version princesse de Disney pour homme. Avant de devenir le roi du softball, il fut d’abords un homme du peuple avec son lot de tragédie. Né le 25 mars 1925, il est abandonné par sa mère adolescente puis adopté dans la foulée par Mary King, une femme de 50 ans qui venait de perdre le dernier de ses quatre enfants, en bas-âge. Elle accepte rapidement d’adopter, hors procédure légale, la future star du softball et le baptise Myrle Vernon… King. Un nom prédestiné. Les quinze premières années de sa vie sont difficiles. Son père adoptif quitte sa mère en pleine Grande Dépression. Sa mère adoptive est une fervente pratiquante de l’église Adventiste du 7ème jour et la vie du jeune Myrle est très stricte tant sur les repas que sur les sorties. Pas de sport, pas de danse, pas de fête d’anniversaire. À 15 ans, il ne sait pas ce que sont les hamburgers et la Major League Baseball. Sa vie est austère et difficile. Il se bat régulièrement suite aux moqueries des autres enfants qui raillent son statut d’enfant adopté. Heureusement, il rencontre Eddie Colts, un rude bagarreur qui devient son meilleur ami. Une bouée d’oxygène. Mais la vie frappe encore. Eddie meurt tragiquement à 16 ans. C’est en son honneur que Myrle prendra comme prénom Eddie plus tard.
Eddie finit par découvrir le softball et le baseball au lycée. Le baseball est mal considéré par l’église de sa mère et il trouve de toute manière le rythme trop lent. Il préfère s’essayer au softball mais, une nouvelle fois, à cause de son statut d’enfant adopté, les joueurs ne vont pas l’accepter. C’est là que débarque un nouvel élève, un métisse Cherokee du nom de Meade Kinzer. Kinzer est receveur et permet au jeune Eddie de s’essayer au lancer. Eddie excelle. Il excelle tellement que les autres joueurs finissent par accepter les deux comparses dans l’équipe. Feigner retire tous les batteurs et cette batterie magique ne connaîtra pas la défaite avant leur troisième année au sein des "the King and his court", soit pendant 13 ans.
Mais Eddie est un jeune en errance. Il collectionne les embrouilles et les exclusions au lycée, sillonne l’Oregon et la région de Seattle, vole, dort dans des voitures, revend le produit de ses vols pour se faire un peu d’argent. Finalement, pour se sauver de cette vie, comme beaucoup de jeunes gens en perdition, il rejoint les Marines durant la Seconde Guerre Mondiale mais est déchargé de ses responsabilités militaires suite à une dépression et un accident grave lors d’un exercice d’entraînement aérien.
Juste après l’armée, à son retour à Walla Walla, sa mère biologique, Naomi Feigner, et lui se retrouvent. Il a 20 ans et devient un nouvel homme. Il prend alors un nouveau nom. Désormais, il se nommera Eddie Feigner. Avec un tel tableau, difficile d’imaginer un athlète hors-norme. Pourtant, Eddie Feigner savait faire une seule chose mais avec un talent inégalable : jouer au softball.
Dès l’âge de neuf ans, il joue dans des équipes adultes de softball. Il devient un lanceur redoutable mais manie aussi très bien le bâton. Il ne cessera jamais de jouer, que ce soit chez les Marines durant la guerre ou encore à la fin de sa vie, de manière épisodique. Mais en 1946, son histoire va prendre un tournant inattendu.
Aux premiers jours du printemps 1946, il lance pour une équipe de softball de Pendleton dans l’Oregon. Lors d’un match, son équipe l’emporte 33-0. Selon la légende, alors qu’il se trouve dans un bar, son talent est contesté par l’équipe adverse, mauvaise joueuse. Eddie répond « je voudrais jouer contre vous seulement avec mon receveur ». Défi relevé. Cependant, Eddie se ravise. Avec deux joueurs dans son équipe, il suffit de les faire marcher pour les empêcher de gagner. Ce sera donc quatre joueurs qui composeront son équipe, complétant la batterie avec un première base et un arrêt-court. L’équipe est nommée The King and His Court.
Problème, nous sommes au début du printemps et de nombreux terrains sont indisponibles. Finalement, le lieu du défi est trouvé. Ce sera le pénitencier de l’État de Washington. Les autorisations obtenues, le match à lieu la semaine suivante devant 400 fans et les détenus. Eddie lance un match parfait en sept manches, retirant sur prises 19 batteurs sur 21, les deux restants ayant frappé des balles sur l’arrêt-court et le première base. Le quatuor remporte la partie 7 à 0.
À partir de là, Eddie a l’idée de monter autour de lui une équipe itinérante composée seulement de quatre joueurs : un lanceur (lui-même), un receveur, un première base et un arrêt-court. Il reprend l’idée de ces équipes itinérantes qui font depuis longtemps les joies du baseball comme les équipes de Negro Leaguers telles celles de Stachel Paige ou de stars de la MLB comme Babe Ruth mais aussi la très connue House of David ou encore celle formée autour de la joueuse Lizzie Murphy, les Carr’s All-Star.
Cette idée, elle va vivre pendant 55 ans. Pendant toutes ces décennies, le roi et sa cour vont écumer 104 pays, 4405 villes, jouer devant 20 800 000 de fans, organiser 2947 clinics de pitching et de batting pour une distance totale de 4 100 000 miles parcourus. Ils vont jouer partout, du petit terrain de quartier jusqu’aux stades de la MLB comme le Yankee Stadium ou l’Astrodome de Houston mais aussi dans les lieux des plus insolites comme sur des terrains de Rodéos, dans des cimetières, sur la Grande Muraille de Chine, une plate-forme pétrolière au large de la Norvège et des bases militaires américaines dont celles de Guantanamo Bay.
Ils deviennent les Harlem Globe-Trotters du softball. Ils empruntent même aux basketteurs leurs couleurs. Ils se produisent à la télé où Eddie fait montre de tout son talent. Lors d’une émission du « The Tonight Show », il dégomme un cigare de la bouche de l’animateur vedette Johnny Carson. Il multiplie les exploits, capable de lancer de n’importe où et n’importe comment : de la seconde base, du champ centre, de dos, entre les jambes, à genoux ou en aveugle. Il utilisera cette dernière technique pour 8698 strikeouts.
Son plus grand exploit reste d’avoir sorti dans l’ordre plusieurs Major Leaguers. Lors d’un match de softball entre célébrités le 18 février 1967, il retire à la plaque Willie Mays, Willie McCovey, Brooks Robinson, Roberto Clemente, Maury Wills et Harmon Killebrew. Tous seront intronisés au Hall of Fame à l’exception de Maury Wills, seulement 7 fois All-Star, NL MVP 62 avec deux Gold Gloves et trois World Series dans la poche. Un exploit qui lui a valu une renommée nationale mais qu’il a de lui-même minoré en reconnaissant qu’il n’était pas facile pour des Major Leaguers de frapper une balle de softball avec des trajectoires jamais vues en baseball. Grand seigneur.
Il faut dire que les années 60 représentent son apogée. En un mois, il gagne 100 000 dollars, une somme qu’amasse un Major Leaguer en un an. Il reçoit même des propositions d’équipes de la MLB. Cela dit, son talent ne va pas s’étioler avec le temps. Il va rester The King. À 56 ans, il se mesure encore avec succès à des joueurs de la MLB. C’est durant la grève de 1981 qui secoue la MLB que KHC affronte une équipe de 9 joueurs où se trouvent quelques Major Leaguers. Au Silverdome de Pontiac, l’équipe d’Eddie remporte le match. Encore une fois.
Pourtant, il n’aura jamais la même reconnaissance athlétique que les joueurs de la MLB. Sport Illustrated va même l’élire l’athlète le plus sous-estimé de son temps en 1972. Ceci ne l’empêchera pas de connaître avec son équipe un succès populaire jusque dans les années 2000. Sport Illustrated, toujours, fait de KHC la 8ème plus grande équipe populaire du 20ème siècle en 2000. Feigner fait également parti du top 10 des lanceurs du 20ème siècle pour ESPN en 2002 au même titre que Sandy Koufax.
Ce n’est pas étonnant. Comme vu précédemment, ses qualités techniques sont hors-normes mais ses qualités athlétiques le sont tout autant, capable de lancer sur de longues distances à des vitesses folles. Ses lancers ont d’ailleurs étaient chronométrés à 104 mph. D’autres sources parlent même de 112 ou 114 soit plus rapides qu’un Aroldis Chapman. Sa courbe dévastatrice plongeait d’un coup sur 46 centimètres. Les statistiques du lanceur légendaire démontrent à la fois le talent, la force et la longévité du lanceur : 9743 victoires, 141 517 strikeouts, 930 no-hitter et 238 perfect games avec un taux de 95 % de victoires.
En 2000, une blessure l’oblige à abandonner les terrains. Le jour d’avant, il procédait au lancer inaugural d’un match de softball au Jeux Olympiques de Sydney. Ce qui ne l’empêchait pas, quelques mois avant sa mort le 09 février 2007, de se lever de son fauteuil roulant pour effectuer quelques lancers devant la foule malgré les blessures et les arrêts cardiaques à répétition et une démence qui gagnait chaque jour du terrain. La maladie finira par l’emporter. Jusqu’au bout, il sera resté avec l’équipe, comme conteur de ses exploits. Marié quatre fois, il aura eu le plaisir de jouer avec sa femme, première base, et son fils pendant 25 ans.
L’équipe lui survivra encore quelques années avant de tirer sa révérence le 27 août 2011 pour un ultime match là où tout avait commencé, la ville natale du King, à Walla Walla, devant 1200 fans. The King and His Court fut le dernier représentant d’une époque de légende, celles des grandes équipes itinérantes, mêlant sport de haut niveau et grand spectacle. Le show à l’américaine. L’entertainment. Et c’est tout ce que souhaitait Eddie « j’espère qu’ils [les fans] me considèrent comme un artiste honnête et sincère qui a toujours fait un bon spectacle ».
Il a réussi. Sa vie fut un sacré spectacle.
bHonus :
Reportage de 1959 sur The King and His Court
Source :
Site Internet officiel de The King and his court
Nécrologie du Washington Post du 11 février 2007
Article sur Eddie Feigner par l’Illustrated Sport du 21 août 1972
bravo, super article. Les images de la video sont justes géniales, eddie et sa motion ouaouhhhhhhhh !!!
Excellent, je ne connaissais absolument pas ce personnnage. Enorme!
Merci Gaétan, une découverte pour moi, le concept on vous prend tous, on craint rien ! j’aime bien.