Jim Creighton, la première superstar du baseball !
Sur Honus, nous avons maintes fois parler des injustices du baseball nord-américain, particulièrement dans les intronisations au sein du Hall of Fame, ou plutôt de ceux qui devraient y être et n’y sont toujours pas.
Jim Creighton n’échappe pas à la règle. Il est pourtant celui qui va donner naissance au baseball moderne, à celui que nous connaissons, ce baseball dont le lanceur est l’ultime vedette, celui sur qui tout repose. Car avant lui, le lanceur n’était qu’un donneur de baballe, pas plus important que nos machines à lancer d’aujourd’hui. Et dans bien d’autres aspects du jeu, il va devenir aussi le premier, The One, le pionnier du baseball d’aujourd’hui.
James « Jim » Creighton est né le 15 avril 1841, quatre ans avant que les règles modernes du baseball soient codifiés par Cartwright, à Manhattan. Mais c’est un gamin de Brooklyn où il grandit et apprend à manier les balles et les battes. Oui, les ! Car Jim est à la fois un joueur de baseball et… de cricket. Le cricket est LE sport de batte des États-Unis à cette époque alors que le baseball n’en est qu’à ses balbutiements. Et ce jeune américain, qui excelle dans les deux, va permettre au sport de batte du nouveau monde de surclasser celui du vieux continent dans le cœur des descendants des anciens colons de Sa Majesté.
À l’époque où Jim débute le baseball, ce dernier est bien différent de celui que nous connaissons. Ce que l’on appellera l’ère du jeu amateur (Game’s Amateur Era) privilégie les jeux de défense et donc forcément les frappes. Il n’y a pas de duel lanceur/batteur. C’est un jeu de balle donné un peu comme aujourd’hui en softball slowpitch. D’ailleurs, le lancer se fait par en dessous. La position du lanceur n’est pas déterminante dans le jeu. Et c’est ce que va changer Jim Creighton. Il va radicalement changer le jeu en devenant un lanceur qui élimine et non un lanceur qui donne la balle. Il créé simplement l’essence même du baseball moderne : le duel lanceur/batteur. Et ce, grâce à une tricherie !
Les règles précises que les lancers de baseball doivent être fait d’une manière bien précise et interdit certains gestes. À l’époque, le lancer se fait par en dessous comme au softball aujourd’hui. Le bras et le poignet doivent rester raides. Les lancers ne sont pas très rapides et sont destinés à permettre des frappes pour ensuite faire briller les défenseurs. Car c’est la défense, le fielding, qui est le pus important à cette époque du baseball. La règle est que la balle est lancée pour la batte. D’ailleurs, il faut attendre 1858 pour voir arriver les « strikes » dans les règles et six ans encore pour les « balls ».
Mais le jeune Jim Creighton va modifier de manière quasi-imperceptible son mouvement lors du lancer, une modification qui va transformer sa balle donnée en un lancer rapide, avec mouvement, le rendant difficile à frapper, surtout pour des batteurs habitués à des balles quasi-offertes. C’est un mouvement illégal mais tellement difficile à détecter qu’il va pouvoir l’utiliser tout le long de sa courte carrière.
Une carrière qui débute officiellement en 1857 quand il créé avec d’autres gamins de Brooklyn le Young America Baseball Club. L’aventure ne dure pas longtemps mais assez pour que ses qualités l’amènent à devenir le deuxième base des Niagaras of Brooklyn. Excellent joueur de cricket, le jeune lanceur est aussi un redoutable frappeur au baseball. Un talent qui ne passe pas inaperçu et qui va éclater au grand jour en 1859 quand les Niagaras rencontrent le Star Club of Brooklyn. Jim entre en relève et, malgré la défaite de son équipe, impressionne. Les batteurs du Star Club ne frappent pas et dénoncent le lancer de Jim. Ils ne le dénonceront pas longtemps puisque Creighton sera recruté par le Star Club peu après.
Sa réputation grandit et avant le début de la saison 1860 il rejoint l’Excelsior de Brooklyn de la National Association of Base Ball Players, ancêtre de la MLB. L’Excelsior entreprend la première tournée nationale connue, jouant face à des équipes locales de la côté Est des États-Unis. Il devient alors une sensation nationale. C’est un batteur hors-norme et un lanceur brillant. Durant la saison 1860, il ne prend aucun strikeout, scorant 47 points en 20 matchs seulement. Le 8 novembre, il réalise le premier shutout de l’histoire du baseball à Hoboken dans le New Jersey face au célèbre Saint Georges Cricket Club (certains clubs de cricket plus anciens possédaient alors des équipes de baseball). Jim va jouer durant trois saisons chez l’Excelsior, s’imposant en 1862 comme le meilleur frappeur de son époque, retiré simplement quatre fois cette année là sur des courses sur base ou des frappes.
1860 marque encore un autre tournant au sein du baseball américain et auquel Jim Creighton est directement impliqué puisqu’avec ses coéquipiers de l’Excelsior, Georges Fanley et les frères Asa et Henry Brainard, il devient certainement le premier joueur pro du baseball. Mais au black ! Car, le professionnalisme est alors interdit et les joueurs sont des joueurs amateurs. Il faudra attendre 1869 pour voir la première équipe pro officielle, les Red Stockings de Cincinnati. Pour cette saison 1860, Jim reçoit 500 dollars.
À la fin de cette grande saison, il remporte le championnat national avec son équipe et rejoint l’équipe rivale des Brooklyn Atlantics (équipe qu’il va un jour limité à 5 points durant un match, un total de points très bas pour cette époque). Mais l’expérience tourne court et Jim revient à l’Excelsior au bout de trois semaines.
Parallèlement à sa fabuleuse carrière de joueur de baseball, il illumine également les terrains de cricket de sa classe, parfois là aussi avec un salaire à la clé. Il joue notamment pour l’American Cricket Club (l’équipe nationale américaine) en 1861 et 1862. l’équipe se confronte régulièrement à des équipes anglaises et perd beaucoup de matchs. Ce qui n’empêche pas le jeune américain de démontrer tout son talent. En 1859, affrontant une équipe anglaise, il réussit, comme lanceur, en six balles à frapper cinq fois le guichet. Une performance énorme.
D’autres joueurs de baseball excellent dans le cricket, notamment son coéquipier et autre grand joueur de baseball de l’époque Asa Brainard. Le cricket fut, par les colons, le premier sport de batte du Nouveau Monde et jusqu’à l’époque de Jim Creighton, le sport numéro un, bien devant le baseball. Le premier club officiel de cricket aux États-Unis fut créé en 1809 à Boston (là où pourtant le début de la fin des Anglais en Amérique commença!). Il était donc naturel que de nombreux joueurs de baseball soient avant tout des joueurs de cricket. Et que les deux sports se cumulent avant que le baseball, progressivement, ne prenne toute la place. Et ce, grâce à Jim Creighton et notamment à un événement tragique : sa mort.
Le 14 octobre de l’année 1862, l’Excelsior joue un match contre l’Union of Morrisania, une autre équipe de la National Association of Base Ball Players, basée dans le Bronx à New York. Comme à son habitude, Jim excelle. Sur ses quatre premiers passages à la batte, il frappe quatre doubles. Puis il prend la relève d’Asa Brainard en sixième. Lors de l’at-bat suivant, il frappe un homerun. Il franchit le marbre et confie à Georges Fanley avoir entendu un craquement, probablement sa ceinture. Mais après le match, il ressent une terrible douleur à l’abdomen. En fait, une douleur mortelle, une hémorragie interne. En frappant son homerun, Jim Creighton s’est condamné à mort. Il meurt chez lui le 18 octobre à l’âge de 21 ans après quatre jours de souffrance. Les médecins de l’époque diagnostiqueront une rupture de la vessie mais des expertises ultérieures indiqueront plutôt une rupture d’une hernie inguinale.
Frappeur hors-pair, lanceur possédant une balle rapide incroyable et un contrôle absolu le rendant intouchable, adulé par les foules, la mort de Jim Creighton fut considéré logiquement comme une perte énorme pour le baseball. En réalité, ce fut tout le contraire. Sa mort fut l’ultime exploit que Jim donna au baseball pour la gloire naissante de celui-ci.
Sa mort fut d’abords sujet à controverse au sein du public sur la dangerosité ou non du baseball et du cricket. De plus, l’Excelsior ne vit pas d’un bon œil que le baseball soit responsable de la mort d’un homme alors que ce sport américain commençait à supplanter le cricket dans le cœur des foules. Ainsi, le Docteur Jones, président de l’Excelsior, déclara lors de la convention de la NABBP de 1862 que Creighton s’était fait cette blessure lors d’un match de cricket un ou deux jours avant le match de baseball incriminé. Bien sûr, difficile d’imaginer qu’une telle blessure permette à un joueur d’enchaîner avec un match de baseball un ou deux jours d’après et ce, avec succès. De toute manière, la mort tragique de Creighton ne fut pas un boulet pour le développement du baseball mais au contraire une bénédiction pour deux raisons.
La première raison est qu’au delà de la controverse, la mort du jeune prodige donna à ce dernier une aura héroïque. Déjà devenu une star des terrains d’une popularité croissante, sa mort lui donna le statut de superstar. Ce jeune talent était un gentleman, archétype du gendre idéal, répondant à tous les bons critères de respectabilité de son époque. Et de plus, un joueur hors-norme prêt à mourir sur le terrain pour sa passion, un sport 100% américain. N’oublions pas qu’en 1862, de jeunes américains meurent pour leur pays. Nous sommes en pleine Guerre de Sécession. Le public va faire un transfert entre la mort de Creighton et celles des jeunes soldats de l’Union et des États Confédérés. Après la fin de la guerre civile, il deviendra même un symbole de la réconciliation.
Creighton est donc devenu un mythe, la première évocation nostalgique du baseball. Un mythe fondateur. Problème : ce mythe est fondé sur un demi-mensonge. Si Creighton n’est pas un mauvais garçon, il ne faut pas oublier qu’il a révolutionné le lancer sur une infraction aux règles, une tricherie. Il ne faut pas oublier qu’il accepta de jouer pour de l’argent, au baseball comme au cricket, alors que ces sports étaient amateurs. Deuxième infraction aux règles. De plus, il se blesse seul. Il n’y a rien d’héroïque. C’est juste tragique et accidentel. Les partisans du baseball vont glorifier le souvenir de Jim Creighton pour servir leur propre intérêt face au cricket.
La deuxième raison est que sa mort va faire réfléchir le monde du baseball et le pousser progressivement vers le professionnalisme. Il va permettre aux partisans du baseball de gagner la lutte entamée avec le cricket pour la suprématie sportive de la nation naissante. Le baseball s’envole alors vers les sommets alors que le cricket, malgré quelques soubresauts, va lentement décliner. La tournée de l’Excelsior de 1860 et les exploits de Creighton avaient déjà donné l’avantage au baseball mais la mort de ce dernier donne le coup fatal. Mais si Jim était mort à un match de cricket, où en serait le baseball aujourd’hui ?
Vingt ans après, on comparait les joueurs au talent de Jim Creighton, un talent bien sûr indépassable. Un obélisque de marbre fut fait pour sa tombe et le clubhouse de l’Excelsior devint aussi un monument en l’honneur du mythe. Ils sont aujourd’hui les plus vieux lieux de pèlerinage du baseball américain et mondial. Et même si le mythe a une allure de roman national et que ses prouesses furent liées à des tricheries, ce sont ces belles histoires et ses belles tricheries, alliées à un extraordinaire talent, qui firent grandir le baseball pour devenir le plus beau jeu qui soit.
Jim Creighton, première superstar du baseball, fondateur du baseball moderne, créateur des lanceurs dominants et ancêtres des frappeurs de puissance mais absent du Hall of Fame. Ingratitude dites-vous ?
Voici ce qu’écrit John Torn, auteur et historien du baseball, dans son livre Baseball in the Garden of Eden: The Secret History of the Early Game : [Creighton] est le premier héros du baseball, et je crois, le plus important joueur non introduit au Temple de la Renommée du Baseball ».
bHonus :
Vous pouvez d’ailleurs retrouver une bio plus complète de Jim Creighton par John Torn sur le site de la Society of American Baseball Research.
[…] 1863. Il y a un peu plus de deux mois, le 18 octobre, la première superstar du baseball, Jim Creighton, décédait suite à une blessure qu’il s’était infligé […]
merci pour cet article très complet. on en apprend beaucoup sur le baseball à travers une figure d sport !
Génial ton article, Gaetan !
Impec !
Félicitations Gaetan pour cet article super complet !