L’incident Chief Tokohama

Revenons sur Honus sur l’histoire méconnue mais ô combien significative de Chief Tokohama. On l’a vu dans les origines de la negro league, les codes de la société américaine et la ségrégation qui en découlait se sont rapidement imposés dans le baseball professionnel dés la fin du XIXe siècle. Les joueurs non blancs, qu’ils soient noirs, asiatiques ou latins ne peuvent jouer dans les grandes ligues pros. Mais si cette ségrégation raciale dans le baseball s’est imposée,  tout le monde ne considérait pas cette exclusion des "non blancs" comme légitime. Certains même la regrettaient, comme John McGraw, le légendaire coach des New York Giants de la dead ball era.

John McGraw, un coach progressiste

Au delà de la couleur de la peau, John McGraw considérait avant tout la valeur sportive de ces joueurs bannis des grandes ligues. Il savait que des joueurs comme Rube Foster, ou plus tard Josh Gibson, étaient de véritables phénomènes du baseball.

John McGraw en 1901 tenta un bon coup en 1901. Il est alors le jeune coach des Baltimore Orioles, nouvelle franchise de la nationale league avec les clubs de Washington et de Cleveland.

McGraw suit les championnats des negro league, à l’époque peu organisés, mais qui lui donnent l’occasion de voir du baseball de trés bon niveau. Il apprécie notamment le jeu fait de bunt et de courses pratiqué par les negro leagues, (et qui inspirera à terme le jeu pratiqué plus tard par les New York Giants, et finalement la nationale league). Il repère un nommé Charlie Grant,  qui travaille dans un hôtel et qui joue au baseball le reste du temps. Grant a commencé à jouer en 1896 avec les Page Fence Giants puis en 1899 avec les Columbia Giants. Charles Grant est un bon joueur de seconde base, un trés bon défenseur et un bon batteur.

Noir à la peau claire, John McGraw a une idée à la fois géniale et finalement assez astucieuse : "Et si je faisais passer Charlie Grant pour un indien ? En tant qu’indien, il ne devrait pas avoir de problèmes pour jouer avec des blancs !"

Il invite alors Charles Grant pour le spring training des Orioles, et le rebaptise "Charlie Tokohama" ou "Chief Tokohama", le faisant passer pour un indien Cherokee, fils d’une indienne et d’un père blanc. Tokohama est le nom choisi par McGraw en référence au nom d’une crique passant dans l’ouest des Etats unis, nom qui sonne résolument indien.

Le Chicago tribune rapporte ainsi la signature le 24 mars 1901 d’un jeune joueur indien aux Orioles.

Tout aurait pu bien se passer jusqu’au moment où les Orioles jouent en match de préparation les White Sox de l’irascible Charles Comiskey.

Une simple vision de l’équipe des White Sox de Comiskey en 1901 montre un certain amour du blanc dans l’équipe !

Charles Comiskey reconnait immédiatement le seconde base de Columbia qui joue dans la région de Chicago et s’en plaint à McGraw. "Je vais pas rester là à supporter ce que tente de faire McGraw. Si Mugsy veut jouer avec son indien en seconde base, je pourrai peut être jouer avec un chinois en 3e base, ou peut être un autre mal blanchi ?" commente ironiquement le propriétaire des Sox Charles Comiskey à la presse.

Durant un long mois, McGraw va tenter d’enfumer son monde : "mais non c’est une erreur, c’est un indien, pas un noir !"

Mais personne n’est dupe dans le milieu, hormis peut être certains des journalistes qui semblent croire aux origines indiennes du nouveau joueur.

La règle non écrite de la ségrégation, le "gentleman’s agreement", va  finalement conduire McGraw à reculer pour finalement virer le joueur de son équipe avant le début du championnat. Il n’est pas question qu’un noir joue avec les blancs. La direction des Orioles aurait gentiment rappelé à McGraw qu’une nouvelle franchise ne pouvait pas se permettre de faire trop de scandales et affronter le puissant Charles Comiskey de Chicago.

Charlie Grant quittera donc les Orioles et reviendra jouer avec les siens aux Philadelphia Giants en 1902, puis aux Cuban X Giants.

Désormais, Charlie Grant fait partie de l’histoire du baseball et de sa ségrégation. Ben Sakoguchi illustre à sa façon l’épisode.

Mais certains rapportent que John McGraw aurait tenté une nouvelle fois de faire tomber la barrière de la ségrégation en 1905 lorsqu’il est à la tête de la franchise des New York Giants (1903-1932).

John McGraw aurait alors tenté d’approcher le pitcher vedette des negro league, Rube Foster, pour qu’il lance au sein des Giants de New York. Rube Foster était l’ace des championnats noirs et il maitrisait un lancer peu connu à lépoque, le lancer " fade away", qui est aujourd’hui connu sous le nom de la sinker. Là encore, Mc Graw n’aurait pas pu aller contre la loi non écrite de la ségrégation.

Alors rumeurs ou pas, il est bien difficile d’avoir des certitudes sur cette tentative. Néanmoins on peut cependant constater que les lanceurs des New York Giants ont tous commencé à maitriser la "fade away" dés la saison 1905, et notamment le grand Christy Mathewson. De là à en déduire que Rube Foster leur aurait enseigné ce lancer, il y a qu’un pas que Honus n’hésitera pas à franchir.

John McGraw va finalement disparaitre en 1934, 12 ans avant l’arrivée de Jackie Robinson, et n’aura jamais vu l’arrivée des joueurs noirs dans le baseball pro.

 

8 commentaires à “L’incident Chief Tokohama”

  1. Fishiguchi dit :

    Et de Mike Tyson…

  2. francovanslyke dit :

    Iron mike je crois que c’était le surnom de Mike Singletary, linebacker des Bears de Chicago.

  3. Fishiguchi dit :

    On va pas te contredire, Iron Mike… On tient à nos dents ! ^^

  4. Ironmike dit :

    Ce blog est vraiment trop bien. Bravo.

  5. Florian dit :

    Merci pour ce très bon article. Quand je lis ce genre d’article je ne peux m’empêcher de me dire :

    « Qu’est-ce qu' »on » a put être con dans certaine période de notre histoire »

  6. Fishiguchi dit :

    Oh ?
    A quelle époque ?

  7. Jean-Christophe Tiné dit :

    Très bon article !

    Pour mémoire, McGraw et Comiskey ont été nommés Vice-Présidents d’Honneur de la FFBS (source : site FFBS).

  8. Gaétan dit :

    Je l’aime bien ce McGraw !

Laisser un commentaire