Le baseball sous Hitler
En 1933, quand Adolf Hitler arrive au pouvoir en Allemagne, la pratique du baseball est rarissime outre-Rhin (le premier club ne sera fondé qu’en 1948 à Francfort et la fédération attendra 1950 avant d’être créée).
Mais, à bien y regarder, le baseball se joue à deux moments sous le joug hitlérien (1933-1945) : durant les Jeux olympiques de 1936 et dans les stalags de la Seconde Guerre mondiale, où les prisonniers américains continuent à pratiquer leur sport favori.
LES JEUX OLYMPIQUES DE 1936
Après vingt-quatre ans d’absence et les JO de 1912 à Stockholm, le baseball fait son retour en tant que sport de démonstration. Une seule rencontre est jouée : dans la soirée du 12 août 1936 au stade olympique de Berlin, devant près de 100 000 spectateurs. Une des plus grosses audiences de l’histoire du jeu.
Sur le terrain, les conditions sont loin d’être parfaites : un but de football est utilisé en guise de backstop, le monticule du lanceur est absent, les dimensions sont irrégulières, aucune clôture ne ceinture les champs extérieurs et l’infield est totalement en herbe.
A l’origine, un match entre le Japon et les Etats-Unis est prévu mais suite au retrait nippon, les Américains décident de jouer entre eux.
L’effectif est composé d’obscurs joueurs amateurs. On les a choisis à Baltimore, après une journée de sélection placée sous le patronage de Babe Ruth. Ces sélections ne sont pas pour n’importe qui, car les joueurs doivent s’acquitter d’un droit d’inscription et en cas de sélection, on leur demande de prendre en charge les frais de voyage.
Parmi ces baseballeurs, seul Bill Sayles se fera un nom. Il lancera vingt-huit matchs dans les Ligues Majeures, pendant deux saisons : celle de 1939 pour les Boston Red Sox puis en 1943 avec les New York Giants et les Brooklyn Dodgers.
Cour la match-exhibition au stade olympique, deux équipes sont formées : « The World Champions » et « U.S. Olympics ». Elles portent les mêmes élégantes flanelles blanches avec « US » sur le devant et un logo olympique rouge, blanc et bleu sur la manche gauche. Elles se distinguent uniquement par leurs casquettes et leurs chaussettes. Ce match oppose donc les « Red Stockings » et les « Blues ».
Herman Goldberg est le seul joueur juif de l’effectif. Il évolue au poste de catcher pour les Worlds Champions : il est fier de représenter son pays dans cette Allemagne nazie antisémite.
Plus tard, Goldberg rapportera cette anecdote de son séjour germanique : alors qu’ils ont une journée libre, le jeune baseballeur et la star de l’athlétisme juif américain Marty Glickman font de l’auto-stop. Ils sont alors récupérés par deux soldats allemands. À mi-chemin du voyage, l’un des Allemands demande aux deux passagers de montrer leur passeport car Goldberg vient de faire une erreur en utilisant un mot yiddish dans son allemand approximatif. Alors que les soldats examinent les documents américains sur le bord de l’autoroute, Goldberg écoute nerveusement les nazis discuter du fait que les deux athlètes américains sont juifs. Mais finalement, les soldats les laissent partir en leur demandant des autographes.
Avant la rencontre olympique, on joue le The Star-Spangled Banner et on explique à la foule les règles et le vocabulaire du baseball : les Allemands sont en effet peu connaisseurs du National Pastime.
Puis, le public applaudit quand les deux équipes s’alignent et font le salut hitlérien. Un moment délicat pour Herman Goldberg.
LLes deux équipes prennent alors place sur le diamant illuminé par les lumières du stade. Fait rare pour un match de baseball car la première rencontre nocturne est jouée seulement un an plus tôt chez les Reds de Cincinnati. Mais à Berlin, les lumières sont mal positionnées pour les sept innings prévues, les balles hautes se perdent dans l’obscurité…
Dès la première manche, un certain Hubert Shaw frappe un inside the park home run à deux points pour les « U.S. Olympics », profitant de l’absence de clôture. C’est le moment de gloire pour ce joueur universitaire qui ne jouera même pas dans les mineures.
Les Allemands ne comprennent pas grand-chose au jeu et dès la troisième manche, certains commencent à quitter le stade.
A la septième et dernière manche, les deux équipes sont à égalité avant que Les McNee ne frappe un walk-off home-run mettant fin à la partie. Les Worlds Champions l’emportent sur le score de 6-5.
Après cette rencontre, l’escouade américaine effectue une tournée à travers l’Allemagne en proposant plusieurs démonstrations. Le but est de sensibiliser le public allemand au baseball.
Malheureusement, entre le baseball et les Jeux olympiques, l’histoire va s’interrompre pour vingt ans. Il faut attendre 1956 et les Jeux de Melbourne pour revoir notre sport aux Jeux.
LE BASEBALL DANS LES STALAGS ALLEMANDS
A partir de 1943 et la campagne nord-africaine, de nombreux soldats américains sont fait prisonniers par l’Allemagne nazie. Près de 90 000 GIs sont enfermés dans les stalags. Les conditions de vie y sont rudes mais grâce à la YMCA, les Américains reçoivent lettres, colis et…près de 1,7 millions d’articles de sport !
Dès le printemps, de nombreux matchs sont organisés entre prisonniers et les équipes se disputent les nouveaux arrivants doués en baseball pour qu’ils rejoignent leurs rangs !
Parmi ces vedettes, un certain Mickey Grasso. Capturé en Tunisie, il est fait prisonnier et envoyé au stalag IIIB près de Furstenberg. Catcher en ligue mineure avant la guerre, Grasso s’impose comme la star du camp. A l’été 1943, des compétitions de fast-pitch softball sont organisées et Grasso est la star de l’équipe nommée les Zoot Suiters. L’été suivant, une ligue majeure et une autre mineure sont créées dans le camp, avec des National et American League divisions. Les matchs attirent un public nombreux, proposent un bon niveau et culminent avec des World Series en août.
A la fin de la guerre, malgré une silhouette amaigrie par son séjour au stalag, Grasso revient au baseball et joue sept saisons en MLB, avec les New York Giants, les Washingtons Senators et les Cleveland Indians.
Huit autres joueurs des Ligues Majeures et une quinzaine de Minor Leaguers sont prisonniers de guerre en Allemagne. Certains d’entre eux ont l’occasion de jouer quelques rencontres.
Ainsi, Phil Marchildon, joueur des Philadelphia Athletics de 1940 à 1942, est prisonnier au Stalag Luft III en Pologne, où 350 prisonniers sont impliqués dans une ligue de softball. « J’étais un champ extérieur et un bon frappeur dans une équipe qui remporta le championnat du camp » raconte-t-il plus tard. Après-guerre, il rejoue pour Philadelphie puis rejoint les Red Sox de Boston en 1950.
Pilote de l’US Air Force, le pitcher Bert Shepard est abattu avec son avion près de Ludwiglust, à l’est de Hambourg, en mai 1944. Amputé de sa jambe droite, il est envoyé au Stalag IX-C à Meiningen où il récupère de ses blessures. Avec l’aide d’un médecin canadien qui lui fabrique une prothèse, Bert Shepard se remet au baseball et lance à nouveau dans le camp. En 1945, il regagne les Etats-Unis où il est engagé par les Washington Senators. Le 4 août 1945, il entre à la 4e manche face aux Boston Red Sox et lance 5.1 manches en infligeant 2 strike-outs à ses adversaires. Il leur accorde seulement trois hits et un point. Ce sera là sa seule et unique apparition en Ligues Majeures. Un exploit, faisant de lui le seul homme à avoir lancé avec une jambe artificielle en MLB.
Augie Donatelli réussit 17 missions victorieuses au-dessus de l’Allemagne au sein de l’US Air Force mais en mars 1944, son avion est abattu au-dessus de Berlin. En atterrissant avec son parachute, il se brise la cheville. Il est envoyé au Stalag Luft IV en Poméranie où il passe quatorze mois. Là, il commence à arbitrer des matchs de softball. Il vient de trouver sa voie puisqu’après le conflit, il entame une carrière d’arbitre longue de 24 ans dans la MLB.
Enfin, pour clore cet article, un mot sur le célèbre film La Grande Evasion (1963) qui a inscrit dans la légende les scènes où Steve McQueen joue avec sa balle de baseball au mitard.
Le Stalag Luft III à Sagan est le lieu qui a inspiré l’action du film et à l’été 1944, plus de deux cents équipes de prisonniers y jouent au baseball.
Les détenus organisent de multiples tournois afin de distraire les gardes allemands et…de les détourner des activités du Comité d’évasion. Par un tunnel de 111 m de longueur, creusé à 10 m de profondeur, 76 prisonniers réussiront à s’échapper du camp. Tous seront repris sauf trois d’entre eux.
Sources principales :
- sabr.org
- baseball-reference.com
- Baseball in Europe : A Country by country history, Josh Chetwynd