Exclusif : le premier joueur pro japonais !

En 2008, Honus trouvait sur le net un site qui révélait l’existence d’un joueur de baseball japonais chez les pros de Negro League en 1915, Goro Mikami, soit le premier joueur pro japonais connu. En 2011, Honus fait plus fort et vous révèle que le premier joueur japonais pro ou semi-pro, ce n’était pas en 1915 mais… en 1904 !

Nous ne sommes qu’au début de l’article et pourtant, votre bouche ouverte d’incrédulité et de surprise n’est pas prête de se fermer. Car ce même joueur a failli, en 1905, jouer pour les Giants de New York du célèbre John McGraw. Il a tout simplement été à deux doigts de devenir le premier joueur japonais en Major League.

L’histoire de Shumza Sugimoto (dont l’orthographe variera d’article en article) nous est parvenu grâce aux coupures de presse de cette époque. C’est par un grand hasard que l’auteur du présent article honusien est tombé sur cette histoire durant une fastidieuse recherche sur le site internet de la Bibliothèque du Congrés américain. Il n’existe pas d’article détaillé sur la toile et donc c’est pas un travail de reconstitution d’après les articles de presse de 1905 que nous allons tenté de brosser le portrait du précurseur des Hideo Nomo, Hideki Matsui et Ichiro Suzuki.

En février 1905, la presse relaie la dernière trouvaille de John T. McGraw, alors manager des prestigieux Giants de New York. Un jeune japonais de 23 ans répondant au nom de Shumza Sugimoto. Le célèbre manager repère notre jeune joueur alors que celui-ci est masseur -et accessoirement expert en Jiu-Jitsu- sur le Hot Springs, l’équivalent du Spring Training actuel mais qui consistait pour les équipes à voyager vers le sud des Etats-Unis en jouant des matchs. On ne sait pas pourquoi McGraw lui offre un essai mais ce dernier est concluant. Sugimoto est un remarquable outfielder, un excellent batteur et un coureur sur base habile. Il impressionne et fait dire à McGraw et aux joueurs des Giants qu’il est « all the good ». Il suit donc les Giants comme joueur sur le Hot Springs. Certains articles déclarent qu’il est susceptible de prendre place au champ centre en saison régulière, d’autres disent que cela est fort peu probable. Reste que ses qualités, elles, sont indéniables.

Le New York Times rapporte l’épisode Sugimoto

 

Si Sugimoto est un excellent joueur, c’est qu’il n’est pas un débutant puisqu’il joua, l’été précédent, pour les Cuban Giants. Les Cuban Giants à l’époque n’existent plus mais on peut supposer qu’il jouait en Negro League avec les Cuban X Giants. Au moment de son Hot Springs avec les Giants, il semble avoir avec une équipe semi-pro, les New Orleans Creole Stars, avec laquelle il est susceptible de retourner si son engagement avec les Giants n’est pas accepté. Et il y a fort à parier qu’il est retourné à la Nouvelle-Orléans puisque s’abattra sur lui la fameuse et infâme « color line », cette politique ségrétationniste menée par le baseball professionnel organisé jusqu’au recrutement de Jackie Robinson par les Dodgers en 1947.

Sugimoto a certainement fini le mois de février avec les Giants avant de voir la politique raciste du baseball organisé lui refuser un engagement en Major League. On ne sait pas ce qu’il est devenu puisque les seuls articles parlant de lui reviennent sur sa présence au Hot Springs. Un autre mystère est de savoir comment il est arrivé aux Etats-Unis et comment il s’est retrouvé avec des équipes de Negro League. Etait-il venu avec son université, telle l’université de Waseda venue en avril de cette année-là sur la Côte Ouest affronter des universités américaines ?

En tout cas, en cette année 1905, Sugimoto n’est pas le seul joueur de baseball japonais se trouvant sur le sol américain quand Waseda arrive pour sa tournée. L’université de Pennsylvanie posséderait alors deux baseballeurs japonais. L’un d’eux a laissé une trace dans l’histoire de l’université : Shunzo Takaki, fils du baron Takaki, chirurgien et membre de la marine militaire impériale. Shunzo Takaki était un athlète universitaire reconnu avant tout comme un excellent tennisman mais aussi comme pratiquant de gymnastique et joueur de baseball en seconde ou troisième base. Il entra même dans l’équipe de football américain de l’université mais fut poussé vers la sortie pour une condition physique trop légère pour ce sport.

McGraw se trouva à nouveau au centre d’une polémique « raciale » bien qu’ici il ne semble pas vraiment avoir eu de polémique. McGraw trouva un japonais suffisamment doué pour jouer dans les Big Leagues. Cela souleva la question des joueurs asiatiques et on considéra qu’ils évolueraient du même côté de la ligne que les afro-américains. Après l’épisode Tokohama Chief et avant l’épisode Rube Foster, il faudra dorénavant parler de l’épisode Sugimoto. Une nouvelle fois, McGraw aura échouer à imposer un joueur non blanc dans les Big Leagues et n’aura pas vu le baseball japonais rayonner sur le baseball affilié et mondial.

Le Sporting Life du 25 février 1905 pressent l’abandon de la piste japonaise

 

Pour finir, une petite anecdote. En 1904, Mike Donlin, outfielder des Reds de Cincinnati, est transféré aux Giants de McGraw en cours de saison. C’est un excellent batteur mais également un playboy et un gros buveur, enchainant les ennuis avec la justice, la prison et les suspensions. Les Reds s’en débarrassent avec plaisir. Donlin retrouve donc McGraw avec lequel il a joué à Saint Louis avec que le légendaire manager ne le coache aux Orioles de Baltimore. Une vieille histoire en somme. Donlin est donc du voyage du Hot Springs en 1905 avec Sugimoto. Les journaux rapportent les qualités d’expert en Jiu-Jitsu du japonais et évoque pour le prouver, un épisode où Sugimoto aurait été proche de briser le coup de Donlin dans les vestiaires. Etait-ce un jeu viril entre hommes que la presse a grossi par sensationnalisme ? Donlin, ivre, aurait-il proféré quelques insultes racistes au japonais ? On ne le sait pas et on ne le saura jamais.

Mike Donlin : "Moi, les japonais, je les casse en deux"

Reste que Donlin peut remercier Sugimoto de ne pas lui avoir brisé le cou en 1905… car c’est en 1905 que Donlin réalisera sa meilleure saison avec un batting average de .356 (troisième de la National League), leader pour les points scorés et conduisant les Giants à la victoire finale en World Series.

BHONUS :

La carte en 2015 de Gary Joseph Cieradkowski en son hommage :

http://www.infinitecardset.blogspot.fr/2015/02/192-shumza-sugimoto-false-spring.html

 

 

7 commentaires à “Exclusif : le premier joueur pro japonais !”

  1. […] à la castagne, à la prison, aux scandales (à l’exemple de Mike Donlin, que l’on a récemment vu et sur lequel on reviendra dans un article sur Honus […]

  2. francovanslyke dit :

    Et un portrait à venir de Mike Donlin dans les prochaines semaines sur Honus ; un gars qui a .333 de moyenne en carrière qui n’est pourtant pas au Hall of Fame….

  3. Gaétan dit :

    Il faudrait peut être le traduire en anglais et en japonais cet article parce que j’ai vérifié sur google.com et .fr mais nous avons le seul article documenté sur Shumza Sugimoto au monde ! (en tout cas sur internet!)

  4. yann dit :

    les new orleans creole stars était une équipe de Minor league des Negro League en effet dans laquelle a joué Toni Stone d’ailleurs http://www.honus.fr/les-wonder-women#more-1964
    bel article gaetan bravo

  5. Fishiguchi dit :

    Joli travail de recherche, Gaetan !

  6. francovanslyke dit :

    Sacré trouvaille que ce japonais de 1905 !
    sinon peu de choses sur les new orleans creole stars : il semblerait que ce soit une équipe de Minor league des Negro league, à moins que ce soit une équipe itinérante. Tony Stone en tout cas y aurait joué en 1949…

  7. Florian44 dit :

    Superbe article milles merci .