Et si on DHisé la National League ?
La récente blessure de Max Scherzer, pitcher super star des Washington Nationals atteint par un lancer a une nouvelle fois relancé le débat du batteur désigné (DH). Pour les plus caves, rappelons que la Ligue Américaine (AL) utilise un batteur désigné à la place du lanceur pour aller au bâton, tandis que la Ligue Nationale (NL) envoie encore ses lanceurs au bâton, et ce, comme au bon vieux temps. Scherzer qui est passé des Detroit Tigers de l’Américan League aux Washington Nationals de la National League doit trouver sa nouvelle ligue complètement stupide ! Et comme il dit : "On préfère voir qui au bâton ? Moi ou Big Pappy ?" Faut-il donc que la Nationale League adopte cette règle du DH ???
Aujourd’hui, on est donc bien loin du scandale de la création du batteur désigné "Designated Hitter" (DH) par l’American League en 1973. A l’époque, la ligue américaine avait constaté qu’on s’ennuyait ferme au stade et s’était dit que remplacer le lanceur par un autre joueur au bâton était un bon moyen de dynamiser le jeu. Après tout, à part peut être le phénomène Babe Ruth, qui fut à l’origine un (bon) lanceur pour Boston pour devenir le légendaire bombardier au bâton, la plupart des lanceurs sont des quiches au bâton, du moins lorsqu’ils jouent au niveau de la MLB. Pensez un moment à Bartolo Colon au bâton….
En 1973, l’idée n’était pas nouvelle, et c’était même Connie Mack le manager des Philadelphia Athletics qui avait eu l’idée dés 1906 de remplacer le lanceur par un autre joueur qui pouvait changer à chaque tour. Connie Mack parlait ainsi plutôt d’un rang réservé au pinch hitter, une sorte de "Designated Pinch Hitter (DPH)". L’idée vient d’un grand théoricien du baseball qui constatait que les performances des lanceurs au bâton n’apportaient rien de bénéfique au jeu, déjà en Dead Ball Era.
Connie Mack : dites moi, et si ces lanceurs demeuraient des lanceurs ?
L’idée de Connie Mack est cependant demeurée sans lendemain. Certaines ligues amateurs, et même la ligue AAA l’International League, ont pourtant joué un temps avec cette règle du DH mais la MLB a eu beaucoup de mal à adopter cette règle.La faute à une imposante tradition et à une cohorte de fans puristes qui trouvaient juste anormal que tous les joueurs du champ ne passent pas au bâton et voyaient là une dénaturation des règles même du baseball et du jeu.
Mais la fin des années 1960 a finalement imposé des changements également sur cette partie du jeu. En 1968, c’est, rappelons-le, l’année des lanceurs ("the Year of Pitcher") et la domination des lanceurs sur le jeu est sans pareille : la zone de strike a été agrandie suite au record de Home Runs de Roger Maris de 1961 et des phénomènes comme Bob Gibson ou Denny Mc Lain maitrisent désormais les frappeurs adverses sans pitié. En 1968, Carl Yastrzemski le champ gauche des Red Sox remporte le titre de meilleur frappeur avec une moyenne de…. .301.
Charlie Finley déteste les lanceurs !
Charles Finley le propriétaire des Oakland A’s voit d’un oeil trés critique cette suprématie des lanceurs. En bon businessman, il explique : "Le fan de base veut voir de l’action quand il va au stade, il veut voir des home runs. il ne vient pas voir des matchs à 3-4 hits. et il n’y a rien de plus pénible que de voir des lanceurs aller au bâton alors que la plupart d’entre eux n’arriveraient pas à frapper un hit contre ma grand mère" ("I can’t think of anything more boring than to see a pitcher come up to the plate when the average pitcher couldn’t hit my grandmother".) Après tout, c’est peut être ce lanceur qui est la cause de tout, il doit être remplacé par un bon frappeur pour qu’on sorte de l’impasse.
La Ligue américaine tenta donc de changer les règles et vota à l’essai la règle du batteur désigné. Le 12 janvier 1973, les 12 clubs de l’American league votèrent et 8 clubs votèrent "Pour", 4 votèrent "Contre". La règle fut donc adoptée. Mais on le sait moins, la ligue nationale vota également la même règle à cette époque mais les résultats furent différents : 6 votes "Pour", 4 votes "Contre" et surtout 2 "Abstentions", les Pirates de Pittsburgh et les Phillies de Philadelphie.
Bowie Kuhn, le commissaire de l’époque regretta que les règles soient désormais différentes dans les deux ligues mais valida les choix respectifs "j’espère que cela fonctionnera. J’aurai préféré que les deux ligues prennent la même décision, mais si ça marche dans une, j’espère que la ligue nationale suivra" …. Voeux pieux exprimé il y a plus de 20 ans.
Le premier joueur à jouer à ce poste de DH fut Ron Blomberg des Yankees. Et ce fut le fruit du hasard dans la carrière d’un joueur. Le 6 avril 1973, le premier match de la saison fut un duel Yankees-Red Sox. Le manager des Yankees préféra ajouter un frappeur gaucher contre Luis Tiant, la vedette des Red Sox. Il choisit Ron Blomberg, première base de métier qui était blessé et incapable de jouer en défense pour le poste, et l’aligna frappeur 6 dans le line up. Luis Tiant était dans un mauvais jour ce 6 avril. Il céda un double au leadoff puis donna deux BB aux batteurs suivants. Blomberg arriva au bâton et pris également un BB en première manche. Lorsque les Yankees finirent par être éliminés en première manche, Blomberg se retrouva surpris que personne ne lui donne son gant pour aller jouer en défense. Le coach de première base lui dit qu’au vu du temps glacial de ce mois d’avril, aller dans le dugout était la chose la plus cool du monde ! Blomberg ne fit rien de formidable durant le match. Boston remporta finalement le match sur un score de 15-5 ! Mais Blomberg eu la grande surprise de voir tous les journalistes devant son casier ! Tout le monde l’interrogea sur le fait qu’il avait jouer DH ! Le hall of fame le contacta directement pour récupérer le bâton utilisé lors de ce premier match. Blomberg accueillit avec beaucoup d’enthousiasme ce nouveau rôle populaire et frappa lors de cette saison 73 pour une moyenne de .329 avec 12 HR et 57 RBI. Joueur de confession juive, Il écrit même son autobiographie sous le titre DH pour "Designated Hebrew" !
Ron Blomberg, le pionnier
L’adoption du DH par la ligue américaine en 1973 a provoqué un scandale chez de nombreux fans : le DH dénature le jeu, au même titre que la pelouse synthétique remplace le gazon originel ! C’est la suprématie de la modernité sur la sagesse de la tradition. C’est un pas de plus vers la spécialisation défense -attaque comme dans le football américain. Certains annoncent même qu’on verra bientôt des coureurs désignés, des défenseurs désignés, la disparition des stirrups…. bref la fin du monde voire de l’Amérique….
La fin d’un monde ! Enculé !!!
L’irruption du DH n’a pas provoqué un grand attrait pour les premiers intéressés, à savoir les joueurs MLB. Stan Musial alors âgé de 52 ans constatait de manière assez sage que s’il pouvait certainement encore frapper, il ne savait pas vraiment qui allait courrrir à sa place ("I could still hit, but I don’t know who’d do the running"). Mickey Mantle la vedette des Yankees qui avait pris sa retraite en 1969 à l’âge de 38 ans n’approuvait pas cette révolution dans le jeu " :Ce n’est pas pour moi, C’est pour cela que j’ai arrêté, je pouvais encore frapper mais à chaque démarrage mon corps me rappelait que c’était plus possible ( "It’s not for me. That’s why I quit — because I couldn’t hit anymore. Every time I’d take a stride at the plate, my knee would almost go out on me.")
Tom Seaver, l’ace des Mets qui avait gagné 21 matchs en 1972 et avait réussi à frapper lui même 3 Home Runs pensait aussi que les fans préfèrent les joueurs complets ("I think fans appreciate the total athlete more than the owners give them credit for. Part of the game is being a total athlete, doing more than one thing.")
Le DH va cependant permettre à des stars sur le déclin de continuer à jouer comme Orlando Cepeda qui signe pour devenir DH à 35 ans chez les Red Sox. Frank Robinson signe aussi chez les Angels de Californie pour devenir leur DH. Il frappera quand même 30 HR et produira 97 RBI en 1973 ! Al Kaline prolonge aux Tigers de Detroit pour devenir leur DH en 1974 et franchir le cap des 3000 Hits en carrière.
Les propriétaires de la ligue américaine ont été en tout cas satisfaits de la nouvelle règle qui a provoqué une progression significative des points marqués par les équipes, et surtout des moyennes au bâton.
Considéré comme une erreur des années 70, le DH va cependant gagner peu à peu ses lettres de noblesse auprès des fans. Le succès d’un Edgar Martinez, des Seattle Mariners, peut être le plus grand DH de l’histoire (meilleur moyenne 1995), ou d’autres comme David Ortiz, qui remporte le titre du plus grand nombre de Home runs en 2006, ou Hideki Matsui, MVP des World Series à son poste de DH, ont fait comprendre que le DH pouvait être une star.
Edgar Martinez, le meilleur DH de l’histoire ?
Mais le sens de la prochaine révolution est certainement la raison de l’argent et du business. On parle ouvertement de l’adoption prochaine d’un DH en national league. La faute à une conjoncture de phénomènes : les équipes ne peuvent plus se permettre de voir blessés leurs lanceurs, payés des millions pour lancer et qui ne pourraient plus le faire en raison d’un passage au bâton, pour ce qui relève d’un certain folklore. De plus, les matchs interleague se sont multipliés et provoquent des situations de jeu absurdes (les lanceurs de l’AL qui se retrouvent aussi à passer au bâton lorsque leur équipe joue sur un terrain de NL !). Il devient nécessaire d’uniformiser le jeu entre les deux ligues, et surtout l’impérieuse nécessité de protéger les investissements colossaux ne peuvent que contraindre la National League à revoir sa copie.
Certes, il demeure encore des rebelles comme le lanceur Adam Wainwright de Saint Louis qui, suite à sa blessure au talon d’Achile en courant sur les sentiers, s’est exprimé définitivement contre l’irruption du DH en National league : "cette blessure aurait pu arriver à n’importe quel moment, lorsque j’aurai joué une balle à terre ou même sur une défense de bunt. C’est juste le jeu et le jeu sans DH c’est celui qui est le plus beau"…. de belles paroles d’esthètes pour sûr.
Mais pas sûr que l’organisation des Cardinals qui voient là la perte de leur lanceur pour l’entière saison 2015 partage encore ce point de vue.
Adam Wainwright : "Non mais moi je veux continuer à courir et poser des bunts… "