La tragédie du 19 octobre
1988, 19 octobre, Kawasaki Stadium. Ce jour-là, pour la dernière journée de la saison régulière, les Lotte Orions reçoivent les Kintetsu Buffaloes lors d’une double rencontre.
Avant cette journée, les Seibu Lions sont en tête de la Pacific League, talonnés de près par les Kintetsu Buffaloes qui, en cas de double victoire, passeraient devant et remporteraient le championnat pour la 1ère fois depuis 8 ans. Les Lotte Orions, quant à eux, sont bons derniers et ne voient dans ce match qu’un dernier baroud d’honneur.
Les fans des Buffaloes sont venus nombreux assister à cette journée. Dans les immeubles et maisons alentours, des supporters se sont regroupés sur les toits et même dans les escaliers pour pouvoir voir les matchs. Tous ces spectateurs sont venus dans l’espoir d’assister à un retournement de situation et un titre de champion de dernière minute des Buffaloes.
Les matchs ont été retransmis à la télévision et ont atteint des taux record d’audience : 30.9% dans le Kanto, la région de Tokyo et 46.7% dans le Kansai, la région d’Osaka d’où sont originaires les Buffaloes.
La 1ère rencontre débute à 15 heures. En début de 1ère manche, le lanceur "sidearm" des Lotte, Hiroshi Ogawa, retire les 3 premiers batteurs dans l’ordre. En fin de 1ère manche, Takeshi Aikoh frappe un Homerun à 2 points face au lanceur partant des Buffaloes, Kazuyoshi Ono. Le calvaire des Buffaloes venait de commencer…
En début de 5ème manche, les Buffaloes reprennent 1 point grâce à un solo Homerun de Takahisa Suzuki. Après cela, Ogawa retire les batteurs dans l’ordre. A ce moment du match, le seul hit des Buffaloes aura été ce Homerun de Suzuki.
En bas de 7, les Lotte leur rendent la pareille en ajoutant un point crucial. Le score est désormais de 3 à 1.
Les Buffaloes ne peuvent pas se permettre de perdre, ni même de faire match nul. De plus, comme il s’agit du premier match d’une double rencontre, celui-ci se terminera forcément après la 9ème manche et il ne pourra pas y avoir d’extra-innings. Les Buffaloes doivent donc marquer un minimum de 3 points dans les 2 manches restantes pour pouvoir espérer remporter le championnat.
Le soleil d’automne se couche tôt et c’est déjà la tombée de la nuit. Les 6 lampadaires du stadium de Kawasaki s’allument. C’est dans ces conditions que débute la 8ème manche.
Après un retrait, le frappeur de HR de la 5ème manche, Suzuki, frappe son 2ème hit de la soirée et arrive sur base. C’est alors que le coach des Buffaloes, Akira Ohgi, décide de faire entrer un pinch hitter, Masaki Kato, qui bénéficie d’un BB. Les 1ère et 2ème bases sont occupées. Entre alors un autre pinch hitter, Takayuki Murakami, qui va frapper une line-drive à la clôture pour un double, et permettre aux 2 coureurs de rentrer au marbre. C’est l’égalisation. Le score en restera là pour cette demi-manche. En bas de 8, les Buffaloes font rentrer leur releveur, Masato Yoshii, qui ne concédera aucun point.
Nous voilà finalement arrivés en 9ème manche, dernier espoir pour les Buffaloes de remporter cette rencontre et de rester dans la course pour le titre.
Après que le leadoff de la manche, Ben Oglivie, se soit fait retirer, c’est au tour de Kenji Awaguchi de passer au bâton et de frapper une line-drive à la clôture au champ droit. Junichi Sato entre alors en pinch-runner.
Les Lotte envoient leur releveur, Kazuhiko Ushijima, sur la butte. Durant toute la saison, Ushijima n’a été utilisé que lorsque les Lotte avaient les devants, et c’est une première de l’utiliser dans cette situation d’égalité.
Face à lui, le frappeur de homerun et auteur de 2 hits, Suzuki. Sur le 2ème lancer, il s’élance… et frappe un hit devant le champ droit. Le point va-t-il rentrer ? Non ! Car le coureur parti de la 2ème base, Sato, a pris un départ tardif et s’est fait intercepter entre la 3 et le marbre. Après cette course en demi-teinte, les encouragements de la foule se transforment en cris de rage, avant de laisser place à un silence glacial.
Ohgi-kantoku décide alors de faire rentrer Masataka Nashida en pinch-hitter. Après 17 ans chez les Buffaloes, sa force déclinant, il a annoncé qu’il prendrait sa retraite à la fin de la saison.
1er match, 9ème manche, 3-3, coureur en 2, 2 retraits, Masataka Nashida à la batte
Le cœur rempli d’émotions, il s’élance sur le 2ème lancer et frappe un fly qui tombe devant le champ centre. Suzuki évite de justesse le tag de Hidetoshi Hakamada et rentre au marbre. Les Buffaloes prennent pour la 1ère fois les devants dans ce match.
En bas de 9ème manche, si les Buffaloes ne marquent pas, les Kintetsu pourront toujours espérer remporter le titre. Cependant, l’arbitre accorde un BB à Kazuhito Maruyama, le leadoff de la manche. Le lanceur Yoshii semble insatisfait de cette décision. Le coach Ohgi-kantoku décide de le faire sortir de le remplacer par Hideyuki Awano.
Mais Awano, qui a lancé un match complet 2 jours plus tôt, montre des signes de fatigue et n’a pas son tranchant habituel. A 2 retraits, il se prend un double puis concède un BB et se retrouve avec les bases pleines. Dos au mur, Awano donne tout ce qu’il a. Yoshihiko Morita ne peut rien faire et se fait éliminer sur strike-out. Le match se termine à 18h21, et les Buffaloes ont enfin cette 1ère victoire en poche.
Le 2ème match sera à quitte ou double. Si les Buffaloes l’emportent, ils seront sacrés champions pour la 1ère fois en 8 ans. S’ils font match nul ou perdent, ce sont les Lions qui seront champions. Le match débute 23 minutes après la fin de la 1ère rencontre.
C’est Kazumi Sonokawa pour les Lotte et Izumi Takayanagi pour les Kintetsu qui débutent sur la butte. A cette époque, en Pacific League, la règle stipule que le match ne comportera que 12 manches maximum, mais qu’aucune nouvelle manche ne débutera une fois les 4 heures de jeu dépassées.
Comme lors du 1er match, les Lotte prennent les devants en début de match grâce à un solo homerun de Bill Madlock.
Contestant la zone de strike, le coach Ohgi et le head coach Nakanishi sortent du banc à maintes reprises et contribuent ainsi à une ambiance des plus tendues.
En haut de 6, un hit devant le champ centre de Ben Oglivie permet aux Buffaloes d’égaliser. A partir de là débute un véritable survival.
Les points des 7ème et 8ème manches
Dans la manche qui suit, 2 solo HR de Tokuichi Fukiishi et de Yasunaga Makishi permettent aux Kintetsu de prendre le large. Mais la réaction des Lotte ne se fait pas attendre et dès leur offensive suivante, ceux-ci reviennent à égalité avec un HR de Akihito Okabe et un RBI de Norifumi Nishimura, entré en pinch-hitter à la place de Masato Yoshii.
En haut de 8, les Kintetsu reprennent de suite l’avantage grâce à un HR de Ralph Bryant, son 34ème de la saison. Plus que 2 manches à tenir et les Kintetsu seront champions. Comme à la fin du 1er match, Ohgi-kantoku décide d’envoyer Hideyuki Awano sur le monticule.
L’ambiance dans le stade de Kawasaki bat son plein avec l’entrée de l’ace sur le terrain, mais cela ne va pas durer car Hideaki Takazawa frappe aussitôt un HR au champ gauche. C’est la 3ème fois que les 2 équipes se retrouvent à égalité.
Mais c’est en fin de 9ème manche que survient l’«incident»…
Bas de 9ème manche et le fameux "incident"
Le leadoff de la manche, Shinichi Furukawa, arrive sur base avec un hit au champ droit. Le batteur suivant, Hidetoshi Hakamada, pose un sacrifice bunt entre le lanceur et la catcher, mais suite à une mésentente de ceux-ci concernant qui doit prendre la balle, il arrive safe en 1ère base. Coureurs en 1 et en 2, 0 retrait. Si les Buffaloes concèdent le moindre point, c’est la fin du match.
Sur le lancer suivant, Awano tente un pickoff en 2nde base, mais c’est un mauvais lancer qui part très haut. Le 2ème base, Daijiro Ohishi, est obligé de sauter pour attraper la balle.
Dans son élan, il entre en contact avec le coureur Furukawa et semble le pousser en dehors de la base. Furukawa, qui n’est alors plus en contact avec la base, se fait appeler out.
Le coach des Lotte, Michiyo Arito, surgit du banc, se dirige vers l’arbitre de base Akira Shinya, et commnence à protester d’un «Ohishi a poussé Furukawa !».
A ce moment-là du match, le score est toujours à égalité Pour les extra-innings, il y a ce mur des 4 heures. On a déjà dépassé les 3h30 de jeu et chaque minute compte pour les Buffaloes.
Ohgi-Kantoku sort du banc des Buffaloes et va directement parler à Arito-Kantoku. Des tribunes, un chant «Arito, retourne dans ton banc.» se fait entendre. Sans parvenir à renverser la décision de l’arbitre, la protestation d’Arito aura pris 9 minutes, 9 très longues minutes pour le camp des Buffaloes.
Après cette protestation, les Lotte se retrouvent encore en situation de clore la match, avec 2 retraits et les bases pleines. Takeshi Aikoh frappe alors ce qui semble être un hit devant le champ gauche, mais Kenji Awaguchi fait un arrêt de volée juste avant le rebond. Les Kintetsu atteignent enfin les extra-innings tant attendues.
Il ne reste que très peu de temps au compteur. Cette 10ème manche devrait être la dernière chance pour les Buffaloes de l’emporter.
Haut de 10ème manche
Le leadoff de la manche, Bryant, frappe un roulant sur le 2ème base, mais Kiyokazu Seki, venu couvrir la 1ère base, ne parvient pas à attraper le mauvais lancer et Bryant atteint la 1ère base. Toshiya Adachi le remplace comme pinch-runner. Ben Oglivie se fait ensuite retirer sur strike-out, 1 retrait.
A la batte se présente alors Koichi Hada, un vétéran du même âge que Nashida, l’auteur de la frappe de la victoire dans le 1er match. Hada frappe le 2ème lancer. La balle se dirige vers le 2nde base Nishimura qui s’en saisit, touche la 2nde base et relaie en 1ère base. Le double-jeu est complété.
A ce moment-là, il est 10h41 et il s’est déjà écoulé 3h57 depuis le début de la rencontre. Etant impossible de terminer la manche avant la limite des 4 heures, les Kintetsu sont donc voués à un match nul ou une défaite. Les Lions sont par la même occasion sacrés champions de la Pacific League.
Mais refusant de céder à cette fatalité, Tetsuro Kato veut croire en cette infime possibilité de finir la manche en moins de 3 minutes, et il prend place sur le monticule sans même effectuer ses lancers d’echauffement.
Fin du match
Mais le temps s’écoule impitoyablement et le mur des 4 heures est franchi. Ohgi-Kantoku, debout au milieu du banc, regarde le terrain les yeux hagards. Le match se termine à 10h56, après 4h12 de jeu. Pour une différence au pourcentage de victoire de seulement 2 millièmes, le titre de champions de la Pacific League vient d’echapper aux Buffaloes.
(Libre adaptation d’un article paru dans le magazine hebdomadaire "60 ans de Pro Yakyu")
Un p*tain d’article, Beru… La grande classe !
Bravo !!!
A noter que le coach des Buffaloes, Akira Ohgi, fut aussi coach de Nomo… Cf. http://www.honus.fr/in-bed-with-hideo-nomo-partie-2
Alors, oui, elle existe toujours (ainsi qu’en CL). Mais en plus, elle a été modifiée l’an passé pour économiser l’énergie (effet post-Fukushima). Et donc ce n’est plus après 4 heures, mais après 3h30 que l’on ne commence plus de nouvelle manche. Ca explique pas mal l’augmentation du nombre de matchs nuls depuis la saison dernière (une autre raison est aussi la nouvelle balle qui autorise moins de runs et donc des matchs plus serrés).
Et bien voilà un article fruit du travail de plusieurs années ! Chapeau le Beru pour avoir terminé le taf et nous avoir replongé en 1988 dans ce match couperet. Les maillots de Kintetsu et des Lotte, cette classe quand même ! Sinon une question, cette règle des 12 manches et 4 heures existe encore en PL ?