La MLB détruit-elle le baseball Nippon ?

L’arrivée dans les Majeures de Daisuke Matsukaza l’an passé amène à s’interroger sur l’avenir du Baseball Professionnel Japonais. Il est vrai que la détermination du lanceur all-star à partir, la longue et belle carrière qu’on lui prédit aux States, ce prix incroyable déboursé par les Boston Red Sox (plus de 100 millions de dollars) et la folie médiatique qui a entouré le tout inquiètent les amateurs : dans les années à venir, de plus en plus de joueurs Japonais voudront suivre Dice-K. C’est d’ailleurs le cas cette off-season avec les arrivées de Kosuke Fukudome aux Cubs de Chicago, cet outfielder au bras "ichiresque" champion du Japon en titre avec les Nagoya Chunichi Dragons, et de l’ex-ace des Hiroshima Toyo Carp, le fabuleux Hiroki Kuroda, aux Los Angeles Dodgers.

A première vue, les gros gagnants de la transaction furent les Seibu Lions. En empochant un chèque de 51 millions de dollars, la franchise japonaise a gagné de quoi payer les salaires de la totalité de son équipe pendant 2 ans et demi… Les Hanshin Tigers avaient reçu 25 millions de dollars de la part des New York Yankees pour la signature du gaucher Kei Igawa. Le très célèbre manager des Tohoku Rakuten Golden Eagles, Katsuya Nomura, 71 ans, donne pourtant le baseball Japonais comme mort si les choses perdurent. Hidetoshi Kiyotake, représentant des Tokyo Yomiuri Giants, en rajoute une couche : "Seibu a peut-être fait un joli profit sur le court terme mais si on regarde plus loin, ils s’étranglent eux-mêmes. Cette signature est une grosse perte pour le baseball mondial".

 

Mais pourquoi les joueurs Japonais rêvent tous de débarquer dans le Show ? Une des premières raisons est le challenge. Les très belles carrières d’Ichiro, d’Hideki Matsui et, avant eux, d’Hideo Nomo inspirent les stars japonaises contemporaines et leur font surtout oublier leurs complexes face au baseball ricain. Matsuzaka avait déclaré vouloir se tester dans la meilleure ligue du monde en rencontrant les plus grands. En tout cas, financièrement parlant, on ne peut pas dire que Dai se soit fait rouler : il a triplé son salaire annuel… Une chose dont on parle moins, c’est que la MLB offre de meilleures conditions de vie et de travail. Les stades sont plus modernes qu’au Japon, les voyages plus faciles et les hôtels plus luxueux. Le champ extérieur, Tsuyoshi Shinjo, tout jeune retraité du baseball, a joué aux SF Giants et aux NY Mets avant de retourner au Japon et aux Nippon-Ham Fighters d’Hokkaido. Quand il évoque les Big Leagues, il parle de 1ère classe partout où l’équipe allait. "Au Japon, vous portez vos sacs, voyagez en train et descendez dans de petits hôtels".

De façon surprenante, les fans Japonais ne se sentent pas abandonnés. Au contraire, ils sont fiers que leurs meilleurs joueurs réussissent et sont toujours plus nombreux à suivre les matches MLB diffusés le matin sur la NHK. La belle première saison de Matsuzaka, la très grosse surprise des débuts d’Hideki Okajima et le retour en grâce de Kazuo Matsui ont même boosté les audiences. Les Japonais sont heureux de pouvoir démontrer que leur pays compte autant de joueurs de classe mondiale et que la victoire de l’équipe nationale en 2006, lors de la 1ère World Baseball Classic, n’était pas un coup de chance.

D’ailleurs depuis la WBC, la MLB témoigne un très grand intérêt pour le baseball japonais. Les ballparks du pays, qu’ils soient lycéens, universitaires ou pros, sont un nouveau lieu de travail pour les scouts MLB. On dit même que cet appétit, s’il restait sans aucun contrôle, pourrait ruiner les Ligues Japonaises comme il a ruiné les anciennes Negro Leagues…

Pee Wee - Giants

Les Tokyo Yomiuri Giants, équipe dont presque tous les matches sont diffusés en prime time sur le réseau hertzien, ont vu leurs audiences baisser d’environ 10 millions de téléspectateurs depuis le départ d’Hideki Matsui aux New York Yankees… Dans l’histoire de la télévision, c’est la plus grosse perte d’audimat depuis que la star des shows TV pour enfants, Pee Wee Herman, a été pris en flagrant délit de (hum… hum…) "plaisir solitaire" dans un ciné porno de Floride et c’est peut-être aussi pour cette raison que les Giants tentent autant de retenir leur ace, Koji Uehara.

Mais, aussi vampirique que soit la MLB, l’analogie avec les Negro Leagues est fondamentalement fausse. Les Negro Leagues existaient du fait de la barrière de couleur et l’intégration en 1947 de Jackie Robinson leur ôtait toute raison d’être. Dès lors, la MLB a traditionnellement cherché à dénicher et engager les plus grands talents, quelles que soient leurs nationalités. C’est d’ailleurs très amusant que l’image des Negro Leagues soit utilisée pour qualifier le pillage de la NPB alors que la NPB limite depuis ses débuts le nombre de gaijin suketto (aides étrangères) dans le but de préserver "l’identité" de ses équipes.

Si on y regarde plus profondément, les problèmes de la NPB viennent d’abord d’elle-même : au Japon, les équipes de baseball professionnel ont toujours été les "joujoux" de grosses corporations. Les Hokkaido Nippon-Ham Fighters, champions du Japon 2006 et finalistes 2007, appartiennent à un géant de l’alimentaire et n’existent qu’en vue de promouvoir la marque. Cela peut paraître incroyable mais il apparaît moins onéreux de créer une équipe de baseball que de payer des spots de pub en prime time… Ainsi fonctionne le baseball pro au Japon. De fait, il n’y a plus rien d’étonnant à lire que l’actuel propriétaire des Osaka Orix Buffaloes a avoué, en rejoignant la franchise, que Kazuhiro Kiyohara (meilleur frappeur de HR japonais en activité et 1B/DH des Buffaloes) était le seul joueur de son effectif dont il avait déjà entendu parler…

NPB - 70th Anniversary

Le revenu total des 12 équipes de NPB avoisine le milliard de dollars. Historiquement, 2 clubs ont des revenus confortables : les Tokyo Yomiuri Giants et les Hanshin Tigers, qui comptent dans les 3 millions de fans chacun et qui glaneraient autour de 20 milliards de yens par an. Il est cependant connu que ces clubs reversent leurs bénéfices à leurs compagnies mères (soit respectivement le groupe médiatique Yomiuri et Hankyu Railways).

Les autres équipes, elles, perdent de l’argent chaque année. Les Fighters ont accueilli 1.635.410 fans en 2006 dans leur stade, le Sapporo Dome. Pourtant, ils ont besoin tous les ans d’un renflouement de la part de la société mère. Les Chiba Lotte Marines, champions 2005, ont attiré près d’un million et demi de spectateurs l’année de leur titre. Les estimations indiquent pourtant une perte de près de 2 milliards de yens pour 2005. Les Nagoya Chunichi Dragons, champions en titre, accusent un déficit de plus de 10 milliards de yens.

Les premières raisons de ce manque d’argent sont les faibles retours individuels. Là où les Giants vendent leurs droits TV à 100 millions de yens par rencontre (les Tigers autour de 50), les Dragons touchent 10 millions pour la majorité de leurs matches à domicile, les Fighters 3,8 et les Marines 150.000 yens !

Il est même apparu durant 2007 que Matsuzaka a eu plus de temps d’exposition télé au Japon en étant aux Red Sox qu’il n’en a jamais eu avec les Seibu Lions. Les matches des Lions qui se vendaient 700.000 yens par rencontre l’an passé ont été estimés à 100.000 cette saison. Le match le plus cher de la saison 2006 des Lions fut le 1er match de playoffs contre les Softbank Hawks qui voyait l’affrontement de Matsuzaka et de Kazumi Saito, lanceur de l’année 2006 de Pacific League. Diffusée sur TBS, cette rencontre a eu une audience supérieure de seulement 6% par rapport à la normale, ce qui apparait comme étonnamment faible pour un match si important qui, en plus, opposait les deux meilleurs lanceurs du pays.

On est donc forcemment très très loin de la ferveur populaire créée par la finale de la WBC qui fut regardée par près d’un japonais sur deux et où la consommation d’eau augmentait de 25% pendant les pauses publicitaires (faut avouer aussi que les toilettes Japonaises, c’est quelque chose !).

Croyez-le ou pas mais Matsuzaka n’était pas si populaire que ça au Japon. Il l’a été lors de sa saison de rookie (il venait de gagner le Kôshien d’été avec son lycée de Yokohama Koko) puis l’intérêt des Japonais est retombé. Il n’était plus qu’un "people" : les gens s’intéressaient à sa vie sentimentale, à son mariage, à ses excès de vitesse mais pas spécialement à ses matches… Ce fut d’ailleurs la même chose pour Ichiro. Ce n’est que maintenant qu’il est aux States que les Japonais recommencent à en être fous… En comparaison au baseball Nippon, le Show apparait comme "bigger, stronger & faster" donc forcemment plus attirant ! Du moins tant que les Japonais cartonnent évidemment… On estime, par exemple, que les Japonais étaient 9 millions de téléspectateurs, le 2 octobre 2004, à regarder le match où Ichiro a battu le record de hits en une saison anciennement détenu par George Sisler.

Il est aussi particulièrement ironique de voir tout le buzz qui s’est fait autour de l’affrontement Dice-K / Ichiro alors qu’en 1999 et 2000, il fut tout à fait ignoré des medias et des fans. A cette époque, c’étaient les Giants, menés par Hideki "Godzilla" Matsui qui étaient sous les feux de la rampe.

Un autre handicap vient du fait que la majorité des équipes sont locataires de leurs terrains : les Tokyo Giants alignent 27 millions de yens par match à domicile ! Un peu cher pour une pelouse synthétique qui a détruit les genoux d’Hideki… Les Lions sont propriétaires de leur stade mais ça ne les empêche pas de perdre de l’argent quand même…

La conséquence majeure de ce manque d’argent est l’impossibilité d’investir dans un vrai système type Minor League. Et malgré l’apparition chaque année de rookies talentueux, ils sont encore trop peu à pouvoir percer et compenser le départ des plus grandes stars japonaises… Le Japon compte plus de 4.000 équipes lycéennes qui produisent l’un des meilleurs baseball au monde mais moins de 100 nouveaux joueurs arrivent à signer pros chaque année. Un autre constat est particulièrement effarant : plus de la moitié des joueurs évoluant dans les farm-teams passent leur temps à chauffer le banc des remplaçants ! Ce qui veulent jouer de façon régulière n’ont parfois pas d’autres alternatives que de partir vers les Ligues Industrielles ou Indépendantes (comme la toute nouvelle Shikoku Island League où évolue le shortstop Kyohei Matsuzaka, frère de Daisuke), faiblement médiatisées et faiblement scoutées.

Tant que les compagnies propriétaires des franchises NPB ne voudront pas faire l’effort d’investir dans un système plus poussé, le baseball Japonais ne sera pas professionnel au sens organisationnel du terme : un véritable gachis quand on voit les performances de ses meilleurs représentants…

Source : "Is the MLB destroying Japan’s national pastime ?" Robert Whiting – The Japan Times

 

6 commentaires à “La MLB détruit-elle le baseball Nippon ?”

  1. Fishiguchi dit :

    Nishioka est un exceptionnel joueur mais je ne sais pas s’il a le gabarit MLB… Parmi les joueurs de champ, le seul que je pense vraiment pouvoir réussir en MLB serait Aoki…

    Peut-être Ogasawara s’il avait été plus jeune mais maintenant, je pense qu’il restera au Japon (et c’est pas plus mal… M’enfin, ça n’engage que moi…)

  2. Beru dit :

    Il est même sûr que Darvish est encore au Japon pour une année, il l’a annoncé officiellement (s’excusant au passage auprès des Marines car son annonce coincidait avec la victoire des Marines en Climax Series et pas mal de l’attention s’est porté sur Darvish…)

    Mais il y a aussi Nishioka (Chiba Lotte Marines) qui pourrait être posté… mais pour l’instant, la préoccupation est d’abord du côté des Nippon Series.

  3. Fishiguchi dit :

    Je sors d’outre-tombe ce vieil article qui reprend une teneur plus actuelle avec les gros buzz que sont les possibles départs de Darvish et Iwakuma (même si Darvish semble parti pour rester encore une saison en NPB)…

  4. Fishiguchi dit :

    Le seul « avantage » qu’on peut voir aux départs de plus en plus fréquents de joueurs Jap vers la MLB, c’est que ça oblige ce sport à quitter sa « schlérose » de formation…

    Un départ = au moins un promu en équipe 1 = au moins une recrue pour la farm team…

    C’est toujours ça de pris mais ce n’est pas assez…

  5. jongsean dit :

    Bel Article !
    En tout cas, gardons tous en tete que le jeune Darvish Yuu a declare juste avant le WBC quil ne partirait JAMAIS jouer pour la MLB, et qui si jamais il y etait contraint,
    il prendrait sa retraite.
    Tout simplement du fait que la MLB happe complement les meilleurs talents du japon, et que du coup, les jeunes se desinteressent de la NPB et desormais revent tous de la MLB directement.

    Meme constant alarmant en Coree du Sud si ca nest pire,
    puisque le coach de lequipe national, actuel coach des Hanhwa Eagles deconseille a tous les parents denvoyer leurs enfants scoutes par des organisations de MLB.
    Il insiste sur le fait qualler aux etats-unis ne favorisera en rien leur developpement en tant que joueur pur, et qua ce niveau la, ils feraient mieux de rester sentrainer au pays.

    Ca me rappelle une autre histoire,
    je crois bien que cetait la saison derniere, pendant les matchs amicaux de la delegation MLB au Japon contre les Tokyo Yomiuri Giants.
    Leur Ace de lepoque Koji Uehara avait vivement critique le fait que les matchs de gala contre la MLB avait tout juste lieu au meme moment ou les matchs de saison reguliere debutait dans une autre ligue,et que du coup, personne ne regarderait le match de NPB.
    Pas irresponsable le Koji !!

    Cest sur que ca boost toujours l’ego national davoir un comparse en MLB,
    mais qui ya til de mieux que laisser tout le monde se developper dans leur coin,et de les voir saffronter pour la premiere fois en rencontre internationale??

    Bon…les cubains qui fuient sur des barques,cest encore une autre histoire…
    mais bref !

  6. Nico dit :

    Waou… formidable article!!!!

    Y a rien d’autre a ajouter si ce n’est que le systeme n’est pas pres de changer a moins qu’une autre greve des joueurs ne commence. Et encore, ca ne changera pas grand chose.

    La precedente (et seule greve de joueurs) n’a pas apporte grand chose.

    Une nouvelle franchise a ete creee, et a part les habitants de Sendai, personne n’y prete attention. Heureusement pour eux, qu’ils ont Maa-kun et surtout Nomu-san comme entraineur. Le meilleur frappeur de la ligue joue aux Eagles, et personne ne s’en occupe…

    Les joueurs ont le droit d’avoir les cheveux longs et decolores, de mettre des Nike… et puis c’est tout.

    Les ligues independantes sont composees des vrais amoureux du baseball, car ils jouent pour un salaire de misere. Une equipe a trouvee une idee interessante pour attirer les medias : faire signer UNE lycenne de 17 ans, lanceuse et reine de la knockle. Alors oui on la voit tout le temps a la tele, mais on ne voit pas pour autant de match de cette ligue. Surtout que la pauvre etait deja sur la liste des blessees apres une semaine de spring training.

    J’ai l’impression que tout le monde se contente de ce qu’il y a et n’ose pas faire le premier pas. Les seuls « courageux » sont ceux qui partent…